Les risques d'une adolescence sous X

Article déposé le 2 Août 2017

Frédéric Joignot, journaliste au Monde, m'a contactée au mois de juin pour participer à une réflexion autour de la pornographie. Il ressort de nos échanges un article intitulé "les risques d'une adolescence sous X paru dans le journal, Le Monde, le 22 juillet 2017. Voici donc ci-dessous cet article.

 

 

La pornographie, de par son extrême accessible, est parfois utilisée par des adolescents et des adultes comme une forme d'éducation sexuelle. Elle leur fait percevoir la sexualité sans lien avec la relation amoureuse. En animation scolaire, il n'est pas rare d'entendre des jeunes qui ont tous regardé des films porno évoquer un déroulement très formaté et normé des pratiques sexuelles. La fellation, la pénétration vaginale et anale, les l'éjaculation faciale leur semble être les actes amoureux basiques. Leur imaginaire érotique et bien souvent préconstruit par ses films. Par ce qu'ils voient sur un site comme Jacky et Michel TV, qui présente une "pornographie amateur", avec des "gens normaux", où les actes sexuels seraient donc réalistes est partagés par tout le monde - alors qu'ils sont bien souvent brutaux et tournant autour de la satisfaction des hommes.

Sexualité machiste

Le discours sur la sexualité de bien de jeunes,  filles et garçons habitués au porno hétérosexuel mainstream, est centré sur la pénétration. Les femmes sont censées obligatoirement jouir en étant pénétrées, et les hommes les faire jouir en les pénétrant. De se fait, la jouissance du porno devient une injonction de l'acte de pénétration. Elle induit une obligation de résultat, elle doit sceller chaque rapport, à l'image de l'éjaculation masculine qui achève chaque scène de film. Cela restreint la relation sexuelle à une finalité, plutôt que de la présenter comme un processus ouvert, créatif et ludique, où chacun des partenaires improvise et découvre l'autre. Un pan entier de la sensualité et de l'érotisme, les caresses, la tendresse, l'exploration de l'autre, la fantaisie, est escamoté.

Très souvent, les jeunes imaginent que le cinéma porno montre la réalité de la sexualité. Elle devient alors pour eux une source d'excitation, mais aussi d'angoisse. Des adolescents avouent avoir peur de la pénétration après avoir vu des films où les hommes prennent brutalement les femmes, les "défoncent" comme disent les titres des vidéos. D'autres se demandent si elles seront à la hauteur des scènes hard dans lesquelles la pratique de la "gorge profonde" ou de la sodomie sont banales, sans préalable, souvent agressives. Des jeunes hommes s'interrogent sur la taille de leur sexe au regard de ceux des "hardeurs". Ils font des complexes, ils se sentent anormaux, ils consultent des sexologues pour se faire agrandir le pénis ou obtenir, très jeunes, du Viagra. Ils s'inquiètent de leurs capacités érectiles, et sont choqués par les filles qui ont des poils pubiens.

La pornographie hétérosexuel d'Internet est en grande majorité dévolue à la domination masculine. L'homme en est l'élément moteur, un pacha, à qui tout est dû, qui utilise les femmes comme des objets sexuels. Cette sexualité machiste laisse croire que les femmes seraient toujours consentantes, et contentes de ce qu'elle subissent. On retrouve cette problématique dans les séances d'animation scolaire, lorsqu'on évoque la notion de consentement. Beaucoup d'adolescents la comprennent mal. Au point, pour certains, de mettre la fellation au même niveau que le baiser amoureux ou le baiser volé. C'est pourquoi il est important d'utiliser la pornographie comme un outil pédagogique, ainsi que le font déjà certains jeunes éducateurs.

Un des rôles de l'éducation à la vie relationnelle et affective pourrait être d'accompagner l'esprit critique face aux images pornographiques. Si les parents d'élèves l'acceptent, cela pourrait être fait, dans les établissements scolaires. Lors des stages d'animation, on constate que, lorsque les collégiens commencent à s'interroger sur les pratiques montrées dans les films, ils prennent vite de la distance sur les performances et la violence. Ils se mettent à parler d'amour, de relationnel, du plaisir de la vie à deux, et plus seulement de sexualité.

J'ai été amenée à travailler avec des groupes de jeunes agresseurs, en attente de jugement pour des viols collectifs de filles. Les plus jeunes avaient 11 ans, les plus âgés 15. Tous se regardaient des films X. On a constaté que beaucoup d'entre eux ne percevaent pas le décalage qui il y avait entre leur excitation et la souffrance des filles : s'ils y prenaient plaisir, elles devaient en prendre aussi, comme dans le porno. Les viols collectifs existaient bien sûr avant Internet et la diffusion massive des films pornographiques. Mais on ne peut pas nier leur impact parmi les jeunes dont l'apprentissage à la sexualité se fait principalement par ce biais. Il faut espérer qu'à l'avenir une pornographie différente et plus féministe se développera.

À propos de l'auteur

Caroline Van Assche

Formée à la thérapie de Couple et de Famille à l'Institut Michel Montaigne à Bordeaux,

Formée à l'ICV (Intégration du Cycle de Vie) à l'Institut Double Hélice,


Diplômée en Psychologie Clinique et Pathologique à l'Université Bordeaux 2 Victor Segalen,


Formée au Conseil Conjugal et Familial au Planning Familial de la Région Ile de France,

Formée au Travail Psychanalytique avec les couples et les familles au Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale de Bordeaux,
Formée à la Sexologie Clinique et Santé Publique à l'Université Paris 7 René Diderot,
Formée à la Sexologie Sexofonctionnelle à l'Université Paris 6 Pierre et Marie Curie,
Membre de L'Association Nationale des Conseillers Conjugaux et Familiaux,
Membre de L'Association Francophone de Sexologie Sexofonctionnelle.